Ils me disent, tes yeux, clairs comme le cristal : ” Pour toi, bizarre amant, quel est donc mon mérite ? “ - Sois charmante et tais-toi ! Mon coeur, que tout irrite, Excepté la candeur de l’antique animal,
Ne veut pas te montrer son secret infernal, Berceuse dont la main aux longs sommeils m’invite, Ni sa noire légende avec la flamme écrite. Je hais la passion et l’esprit me fait mal !
Aimons-nous doucement. L’Amour dans sa guérite, Ténébreux, embusqué, bande son arc fatal. Je connais les engins de son vieil arsenal :
Crime, horreur et folie ! - Ô pâle marguerite ! Comme moi n’es-tu pas un soleil automnal, Ô ma si blanche, ô ma si froide Marguerite ?
Pour me rajeunir de rosée de chrysanthèmes humectant ma manche à la maîtresse des fleurs les mille ans je laisserai (Murasaki Shikibu)
Voilà l'époque où les grandes surfaces et les fleuristes offrent leurs potées de chrysanthèmes plus moches les uns que les autres. Et dire que c'est avec ça que nous honorons à chaque Toussaint nos chers disparus ! Il est vrai que je ne vois guère quel autre usage on pourrait faire de ces fleurs. En gros bouquet au milieu de la table de salle à manger pour mettre de l'ambiance au repas dominical ? En grandes taches dans le jardin pour relever de leurs couleurs vives les coins sombres ? Ou accrochés à la rambarde du balcon et sur les murs latéraux, en lieu et place de fleurs artificielles, pour former un cadre à ses occupants ? C'est vraiment au cimetière qu'ils trouvent leur meilleure place !
Il y a un an, pleine d'enthousiasme, je préparais mon voyage dans le Nord. Depuis longtemps, je le repoussais, sentant confusément que ce serait la dernière fois que je reverrais ma région natale. Ce voyage fut un bonheur, j'ai tout - ou presque - retrouvé. Les lieux de différentes périodes de ma vie : petite enfance, adolescence, jeunesse. J'ai sillonné les routes, foulé les rues pavées. Les endroits ont peu changé, hormis un "terrain de jeux" rempli d'herbes folles, qui a disparu, laissant place à une rocade... Si le décor était le même que celui du temps de ma jeunesse, j'avais perdu mes interlocuteurs. Pas un seul ami du temps ancien au rendez-vous ! Pas un pour m'attendre, les bras ouverts, sur le quai de la gare ! Pas un avec qui partager une bière dans mon café de prédilection... J'en ai éprouvé une grande tristesse, et la certitude que ce voyage était bien le dernier. il fallait tourner la page du passé. Et suivre ce conseil : "Oublie ton passé, qu`il soit simple ou composé, et participe à ton présent pour qu'ensuite ton futur soit plus que parfait !"
Le temps des chrysanthèmes nous rappelle chaque année que peu à peu les êtres chers que nous avons perdus sont plus nombreux que ceux qui restent à nos côtés. Cette impression est probablement fausse d'une manière comptable, mais là où est le coeur, il n'y a pas de calcul exact qui vaille. Une chose est certaine, il faut dire et redire - et prouver - notre amour à ceux que nous aimons. Pour moi, cette période de l'année - la Toussaint - est celle des bilans. Peut-être parce que nous allons entrer dans l'hiver et que j'ai besoin de connaître les outils dont je dispose pour aborder le froid et l'obscurité. Alors je commence par trier, tout y passe : les fringues, les godasses, les papiers, les médicaments inutilisés, les conserves périmées... Je jette, je jette, je jette... Et je range ma tête par la même occasion. Le jardin a aussi droit à la taille, à l'arrachage de tout ce qui est fané. Chaque chose enlevée cède la place à un peu de lumière. Enfin c'est ce que j'espère ; car pour l'instant, à part la tristesse...
Je mets de l'ordre dans l'ordinateur aussi. Dehors les faux amis des réseaux sociaux, à la corbeille les documents inutiles que l'on garde on ne sait pas bien pourquoi. J'en profite pour enregistrer des notes de blog dans un fichier, ainsi que vos commentaires, au cas où il me viendrait l'envie soudaine d'arrêter. Là aussi, je réalise que de nombreux commentateurs ont disparu, peu sont restés fidèles. Je suis par instants submergée d'émotion en relisant certains passages, qui me replongent dans le contexte particulier du moment où j'écrivais telle phrase, où j'avais telle pensée, joie ou peine, colère ou tendresse. Les relirai-je ? Je l'ignore. Mais je sais que vos mots et mes mots sont là, à portée d'yeux ! Et que l'an prochain, à la même époque, je ferai un nouveau tri... Ainsi va la vie.
Une dernière pour la route...
Je me demande si, "pour la route", je ne vais pas plutôt enfourcher mon balai de sorcière...
Reginald Frampton, Une sorcière est une fée que l'on a offensée
Le questionnaire de Pivot a été inventé par Bernard Pivot au milieu des années 1970 et est directement inspiré du questionnaire de Proust. Bernard Pivot avait pris l'habitude soumettre ses invités à une série dix questions lors de ses émissions "Apostrophes" et "Bouillon de culture". Ce questionnaire est aussi devenu célèbre, outre-Atlantique, grâce à James Lipton et son émission "Inside the Actor's Studio". Durant l'émission, l'animateur soumettait, lui aussi, ses invités au questionnaire et rendait un vibrant hommage à Bernard Pivot avec la phrase "the great Bernard Pivot".
Intégralité du questionnaire de Pivot :
Votre mot préféré :
Le mot que vous détestez :
Votre drogue favorite :
Le son, le bruit que vous aimez :
Le son, le bruit que vous détestez :
Votre juron, gros mot ou blasphème favori :
Un homme ou une femme pour illustrer un nouveau billet de banque :
Le métier que vous n'auriez pas aimé faire :
La plante, l'arbre ou l'animal dans lequel vous aimeriez être réincarné :
Si Dieu existe, qu'aimeriez-vous, après votre mort, l'entendre vous dire :
Vos réponses ne seront pas publiées sous votre nom. Les miennes non plus, sauf demande perso !
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Voici les premières réponses, anonymes et en vrac ; vous reconnaîtrez les vôtres… et Dieu reconnaîtra les siens ! Je constate avec plaisir que vous êtes nombreux à vous prêter au jeu, et je remercie GG, qui m'envoie des "clients" !
Le mot que vous détestez : revenez demain / lambeaux / lol / putain / adieu / indifférence / confiance / regret / oui mais / nègre / pétasse / mort / fraternité mondiale / pitié / impossible
Votre drogue favorite : joker / Grincheux Grave et certains de ses blogs recommandés / la bière / le thé / le coca-cola / le chocolat (4) / l’humour / l'amour / le miel /le sucre / le cul / le tabac
Le son, le bruit que vous aimez : le feu qui ronfle dans la cheminée / une bouteille de Châblis qui s’ouvre / les cigales un après-midi d’août en Provence / la mer / des oiseaux / l’orgasme / un bouchon / sa voix / le bruit des vagues / les rires de bébé / le clapot de la vague / le vent dans les feuilles / une mélodie / le bruit d'un avion monomoteur que s'éloigne très haut dans le ciel, en été
Le son, le bruit que vous détestez : le voisin qui ronfle / le floc de la dernière goutte tombant dans le verre / le moteur des 4x4 équipés de pare-buffle pilotés par des femmes en banlieue ouest de Paris / les cris aigus des enfants au milieu du supermarché et que la mère ne fait pas taire / un marteau-piqueur / le bruit des armes / le silence / le rap/ le bruit du réveil / l'éternuement / les pets / la sirène des pompiers / les motos / la vaisselle qui s'entrechoque / les geulantes des éboueurs, dans la rue, à 6h30 du matin
Votre juron, gros mot ou blasphème favori : p....n ! / eh merde ! / ‘cré vingt dieux de bœufs / merde / zut / connard / calembredaine / je t'aime / (grosse) bordille / merde / bordel de merde / gros con / zut / c'est dégueulasse / flute
Un homme ou une femme pour illustrer un nouveau billet de banque : Saint-Exupéry / Dr D. & Me K. / Charles de Gaulle (3) / La tête à toto / Le Petit Prince / la fée Clochette / la camarde / J. de Romilly / Louis XI / Canteloup / Henri IV / le dictateur en place / Jean Giono
Le métier que vous n'auriez pas aimé faire : fakir / blogueur / chirurgien-dentiste / fossoyeur / militaire / dame-pipi / voyageur de commerce / huissier / aucun / journalier / médecin légiste / élagueur / banquier / psy-quelque chose / avocat
La plante, l'arbre ou l'animal dans lequel vous aimeriez être réincarné : un baobab / un chêne pour glander / mon chat (2) / la pivoine / un tilleul / une souris (pour jouer…) / un grand-duc / un éléphant / un ours blanc / un chat (2) / une girafe (pour prendre de la hauteur) / un étalon / un chêne ou un chien /
Si Dieu existe, qu'aimeriez-vous, après votre mort, l'entendre vous dire : Retourne d’où tu viens / Comment va Jeanne-Pascale ? Et Grincheux, toujours aussi grave ? / Bienvenue au Carlton, Dodo-la-saumure vous attend au bar / Profite du climat ici, mais pour te récompenser je t'envoie en enfer, les gens y sont plus intéressants / Tu vas retrouver ceux que tu aimais / Vade retro, Satanas / Maintenant que tu es là… / Je ne suis qu'un mensonge / Désolé de t'avoir fait ça / Bienvenu / Tu vas retrouver ceux que tu aimais / Merci tu as tout compris / Eh bien, tu as un sacré caractère / Ce n'est rien / Surprise
Roméo Il se rit des plaies, celui qui n'a jamais reçu de blessures! (Juliette paraît à une fenêtre) Mais doucement! Quelle lumière jaillit par cette fenêtre? Voilà l'Orient, et Juliette est le soleil! Lève-toi, belle aurore, et tue la lune jalouse, qui déjà languit et pâlit de douleur, parce que toi, sa prêtresse, tu es plus belle qu'elle-même! Ne sois plus sa prêtresse, puisqu'elle est jalouse de toi; sa livrée de vestale est maladive et blême, et les folles seules la portent: rejette-la!... Voilà ma dame! Oh! voilà mon amour! Oh! si elle pouvait le savoir!... Que dit-elle? Rien... Elle se tait... Mais non; son regard parle, et je veux lui répondre... Ce n'est pas à moi qu'elle s'adresse. Deux des plus belles étoiles, ayant affaire ailleurs, adjurent ses yeux de vouloir bien resplendir dans leur sphère jusqu'à ce qu'elles reviennent. Ah! si les étoiles se substituaient à ses yeux, en même temps que ses yeux aux étoiles, le seul éclat de ses joues ferait pâlir la clarté des astres, comme le grand jour, une lampe; et ses yeux, du haut du ciel, darderaient une telle lumière à travers les régions aériennes, que les oiseaux chanteraient, croyant que la nuit n'est plus. Voyez comme elle appuie sa joue sur sa main! Oh! que ne suis-je le gant de cette main! Je toucherais sa joue! Juliette Hélas! Roméo Elle parle! Oh! parle encore, ange resplendissant! Car tu rayonnes dans cette nuit, au-dessus de ma tête, comme le messager ailé du ciel, quand, aux yeux bouleversés des mortels qui se rejettent en arrière pour le contempler, il devance les nuées paresseuses et vogue sur le sein des airs! Juliette Ô Roméo! Roméo! pourquoi es-tu Roméo? Renie ton père et abdique ton nom; ou, si tu ne le veux pas, jure de m'aimer, et je ne serai plus une Capulet. Roméo, à part Dois-je l'écouter encore ou lui répondre? Juliette Ton nom est mon ennemi. Tu n'es pas un Montague, tu es toi-même. Qu'est-ce qu'un Montague? Ce n'est ni une main, ni un pied, ni un bras, si un visage, ni rien qui fasse partie d'un homme... Oh! sois quelque autre nom! Qu'y a-t-il dans un nom? Ce que nous appelons une rose embaumerait autant sous un autre nom. Ainsi, quand Roméo ne s'appellerait plus Roméo, il conserverait encore les chères perfections qu'il possède... Roméo, renonce à ton nom; et, à la place de ce nom qui ne fait pas partie de toi, prends-moi tout entière. Roméo Je te prends au mot! Appelle-moi seulement ton amour, et je reçois un nouveau baptême: désormais je ne suis plus Roméo. Juliette Mais qui es-tu, toi qui, ainsi caché par la nuit, viens de te heurter à mon secret? Roméo Je ne sais par quel nom t'indiquer qui je suis. Mon nom, sainte chérie, m'est odieux à moi-même, parce qu'il est pour toi un ennemi: si je l'avais écrit là, j'en déchirerais les lettres. Juliette Mon oreille n'a pas encore aspiré cent paroles proférées par cette voix, et pourtant j,en reconnais le son. N'es-tu pas Roméo et un Montague? Roméo: Ni l'un ni l'autre, belle vierge si tu détestes l'un et l'autre. Juliette Comment es-tu venu ici, dis-moi? et dans quel but? Les murs du jardin sont hauts et difficiles à gravir. Considère qui tu es: ce lieu est ta mort, si quelqu'un de mes parents te trouve ici. Roméo J'ai escaladé ces murs sur les ailes légères de l'amour: car les limites de pierre ne sauraient arrêter l'amour, et ce que l'amour peut faire, l'amour ose le tenter; voilà pourquoi tes parents ne sont pas un obstacle pour moi. Juliette S'ils te voient, ils te tueront. Roméo Hélas! il y a plus de péril pour moi dans ton regard que dans vingt de leurs épées: que ton oeil me sois doux, et je suis à l'épreuve de leur inimitié. Juliette Je ne voudrais pas pour le monde entier qu'ils te vissent ici. Roméo J'ai le manteau de la nuit pour me soustraire à leur vue. D'ailleurs, si tu ne m'aimes pas, qu'ils me trouvent ici! j'aime ma vie finie par leur haine que ma mort différée sans ton amour. Juliette Quel guide as-tu donc eu pour arriver jusqu'ici? Roméo L'amour. qui le premier m'a suggéré d'y venir: il m'a prêté son esprit et je lui ai prêté mes yeux. Je ne suis pas un pilote; mais, quand tu serais aussi éloignée que la vaste côte de la mer la plus lointaine, je risquerais la traversée pour atteindre pareil trésor. Juliette Tu sais que le masque de la nuit est sur mon visage; sans cela, tu verrais une virginale couleur colorer ma joue, quand je songe aux paroles que tu m'as entendue dire cette nuit. Ah! je voudrais rester dans les bons usages; je voudrais, je voudrais nier ce que j'ai dit. Mais, adieu, les cérémonies! M'aimes-tu? Je suis que tu vas dire oui, et je te croirai sur parole. Ne le jure pas: tu pourrais trahir ton serment: les parjures des amoureux font, dit-on rire Jupiter... Oh! gentil Roméo, si tu m'aimes, proclame-le royalement: et si tu crois que je me laisse trop vite gagner, je froncerai le sourcil, et je serai cruelle, et je te dirai non, pour que tu me fasses la cour: autrement, rien au monde ne m'y déciderait... En vérité, beau Montague, je suis trop éprise, et tu pourrais croire ma conduite légère; mais crois-moi, gentilhomme, je me montrerai plus fidèle que celles qui savent mieux affecter la réserve. J'aurais été plus réservée, il faut que je l'avoue, si tu n'avais pas surpris, à mon insu, l'aveu passionné de mon amour: pardonne-moi donc et n'impute pas à une légèreté d'amour cette faiblesse que la nuit noire t'a permis de découvrir. Roméo Madame, je le jure par cette lune sacrée qui argente toutes ces cimes chargées de fruits!... Juliette Oh! ne jure pas par la lune, l'inconstante lune dont le disque change chaque mois, de peur que ton amour ne devienne aussi varaible! Roméo Par quoi dois-je jurer? Juliette Ne jure pas du tout; ou, si tu le veux, jure par ton gracieux être, qui est le dieu de mon idolâtrie, et je te croirai. Roméo Si l'amour profond de mon coeur... Juliette Ah! ne jure pas! Quoique tu fasses ma joie, je ne puis goûter cette nuit toutes les joies de notre rapprochement; il est trop brusque, trop imprévu, trop subit, trop semblable à l'éclair qui a cessé d'être avant qu'on ait pu dire: il brille!... Doux ami, bonne nuit! Ce bouton d'amour, mûri par l'haleine de l'été, pourra devenir une belle fleur, à notre prochaine entrevue... Bonne nuit, bonne nuit! Puisse le repos, puisse le calme délicieux qui est dans mon sein, arriver à ton coeur! Roméo Oh! vas-tu donc me laisser si peu satisfait? Juliette Quelle satisfaction peux-tu obtenir cette nuit? Roméo Le solennel échange de ton amour contre le mien. Juliette Mon amour! je te l'ai donné avant que tu l'aies demandé. Et pourtant je voudrais qu'il fût encore à donner. Roméo Voudrais-tu me le retirer? Et pour quelle raison, mon amour? Juliette Rien que pour être généreuse et te le donner encore. Mais je désire un bonheur que j'ai déjà: ma libéralité est aussi illimitée que la mer, et mon amour aussi profond: plus je te donne, plus il me reste, car l'un et l'autre sont infinis. (On entend la voix de la nourrice.) J'entends du bruit dans la maison. Cher amour, adieu! J'y vais, bonne nourrice!... Doux Montague, sois fidèle. Attends un moment, je vais revenir. (Elle se retire de la fenêtre.) Roméo O céleste, céleste nuit! J'ai peur, comme il fait nuit, que tout ceci ne sois qu'un rêve, trop délicieusement flatteur pour être réel.
*
Cyrano de Bergerac
Acte III, scène 7
Roxane, entrouvrant sa fenêtre. Qui donc m'appelle ? Christian Moi. Roxane Qui, moi ? Christian Christian. Roxane, avec dédain. C'est vous ? Christian Je voudrais vous parler. Cyrano, sous le balcon, à Christian. Bien. Bien. Presque à voix basse. Roxane Non ! Vous parlez trop mal. Allez-vous-en ! Christian De grâce !... Roxane Non ! Vous ne m'aimez plus ! Christian, à qui Cyrano souffle ses mots. M'accuser, - justes dieux ! - De n'aimez plus... quand... j'aime plus ! Roxane, qui allait refermer sa fenêtre, s'arrêtant. Tiens, mais c'est mieux ! Christian, même jeu. L'amour grandit bercé dans mon âme inquiète... Que ce... cruel marmot prit pour... barcelonnette ! Roxane, s'avançant sur le balcon. C'est mieux ! - Mais, puisqu'il est cruel, vous fûtes sot De ne pas, cet amour, l'étouffer au berceau ! Christian, même jeu. Aussi l'ai-je tenté, mais... tentative nulle : Ce... nouveau-né, Madame, est un petit... Hercule. Roxane C'est mieux ! Christian, même jeu. De sorte qu'il... strangula comme rien... Les deux serpents... Orgueil et... Doute. Roxane, s'accoudant au balcon. Ah ! c'est très bien. - Mais pourquoi parlez-vous de façon peu hâtive ? Auriez-vous donc la goutte à l'imaginative ? Cyrano, tirant Christian sous le balcon, et se glissant à sa place. Chut ! Cela devient trop difficile ! ... Roxane Aujourd'hui... Vos mots sont hésitants. Pourquoi ? Cyrano, parlant à mi-voix, comme Christian. C'est qu'il fait nuit, Dans cette ombre, à tâtons, ils cherchent votre oreille. Roxane Les miens n'éprouvent pas difficulté pareille. Cyrano Ils trouvent tout de suite ? oh ! cela va de soi, Puisque c'est dans mon coeur, eux, que je les reçois ; Or, moi, j'ai le coeur grand, vous, l'oreille petite. D'ailleurs vos mots à vous, descendent : ils vont plus vite. Les miens montent, Madame : il leur faut plus de temps ! Roxane Mais ils montent bien mieux depuis quelques instants. Cyrano De cette gymnastique, ils ont pris l'habitude ! Roxane Je vous parle, en effet, d'une vraie altitude ! Cyrano Certes, et vous me tueriez si de cette hauteur Vous me laissiez tomber un mot dur sur le coeur ! Roxane, avec un mouvement. Je descends ! Cyrano, vivement. Non ! Roxane, lui montrant le banc qui est sous le balcon. Grimpez sur le banc, alors, vite ! Cyrano, reculant avec effroi dans la nuit. Non ! Roxane Comment... non ? Cyrano, que l'émotion gagne de plus en plus. Laissez un peu que l'on profite... De cette occasion qui s'offre... de pouvoir Se parler doucement, sans se voir. Roxane Sans se voir ? Cyrano Mais oui, c'est adorable. On se devine à peine. Vous voyez la noirceur d'un long manteau qui traîne, J'aperçois la blancheur d'une robe d'été : Moi je ne suis qu'une ombre, et vous qu'une clarté ! Vous ignorez pour moi ce que sont ces minutes ! Si quelquefois je fus éloquent... Roxane Vous le fûtes ! Cyrano Mon langage jamais jusqu'ici n'est sorti De mon vrai coeur... Roxane Pourquoi ? Cyrano Parce que... jusqu'ici Je parlais à travers... Roxane Quoi ? Cyrano ... le vertige où tremble Quiconque est sous vos yeux !... Mais, ce soir, il me semble... Que je vais vous parler pour la première fois ! Roxane C'est vrai que vous avez une toute autre voix. Cyrano, se rapprochant avec fièvre. Oui, tout autre, car dans la nuit qui me protège J'ose être enfin moi-même, et j'ose... Il s'arrête et, avec égarement. Où en étais-je ? Je ne sais... tout ceci, - pardonnez mon émoi, - C'est si délicieux... c'est si nouveau pour moi ! Cyrano Si nouveau ? Cyrano, bouleversé, et essayant toujours de rattraper ses mots. Si nouveau... mais oui... d'être sincère : La peur d'être raillé, toujours au coeur me serre... Roxane Raillé de quoi ? Cyrano Mais de... d'un élan !... Oui, mon coeur, Toujours, de mon esprit s'habille, par pudeur : Je pars pour décrocher l'étoile, et je m'arrête Par peur du ridicule, à cueillir la fleurette ! Roxane La fleurette a du bon. Cyrano Ce soir, dédaignons-la ! Roxane Vous ne m'aviez jamais parlé comme cela ! Cyrano Ah ! si loin des carquois, des torches et des flèches, On se sauvait un peu vers des choses... plus fraîches ! Au lieu de boire goutte à goutte, en un mignon Dé à coudre d'or fin, l'eau fade du Lignon, Si l'on tentait de voir comment l'âme s'abreuve En buvant largement à même le grand fleuve ! Roxane Mais l'esprit ?... Cyrano J'en ai fait pour vous faire rester D'abord, mais maintenant ce serait insulter Cette nuit, ces parfums, cette heure, la Nature, Que de parler comme un billet doux de Voiture ! - Laissons, d'un seul regard de ses astres, le ciel Nous désarmer de tout notre artificiel : Je crains tant que parmi notre alchimie exquise Le vrai du sentiment ne se volatilise, Que l'âme ne se vide à ces passe-temps vains, Et que le fin du fin ne soit la fin des fins ! Roxane Mais l'esprit ?... Cyrano Je le hais, dans l'amour ! C'est un crime Lorsqu'on aime de trop prolonger cette escrime ! Le moment vient d'ailleurs inévitablement, - Et je plains ceux pour qui ne vient pas ce moment ! - Où nous sentons qu'en nous un amour noble existe Que chaque joli mot que nous disons rend triste ! Roxane Eh bien ! si ce moment est venu pour nous deux, Quels mots me direz-vous ? Cyrano Tous ceux, tous ceux, tous ceux Qui me viendront, je vais vous les jeter, en touffe, Sans les mettre en bouquet : je vous aime, j'étouffe, Je t'aime, je suis fou, je n'en peux plus, c'est trop ; Ton nom est dans mon coeur comme dans un grelot, Et comme tout le temps, Roxane, je frissonne, Tout le temps, le grelot s'agite, et le nom sonne ! De toi, je me souviens de tout, j'ai tout aimé : Je sais que l'an dernier, un jour, le douze mai, Pour sortir le matin tu changeas de coiffure ! J'ai tellement pris pour clarté ta chevelure Que comme lorsqu'on a trop fixé le soleil, On voit sur toute chose ensuite un rond vermeil, Sur tout, quand j'ai quitté les feux dont tu m'inondes, Mon regard ébloui pose des taches blondes ! Roxane, d'une voix troublée. Oui, c'est bien de l'amour... Cyrano Certes, ce sentiment Qui m'envahit, terrible et jaloux, c'est vraiment De l'amour, il en a toute la fureur triste ! De l'amour, - et pourtant il n'est pas égoïste ! Ah ! que pour ton bonheur je donnerais le mien, Quand même tu devrais n'en savoir jamais rien, S'il ne pouvait, parfois, que de loin j'entendisse Rire un peu le bonheur né de mon sacrifice ! - Chaque regard de toi suscite une vertu Nouvelle, une vaillance en moi ! Commences-tu À comprendre, à présent ? voyons, te rends-tu compte ? Sens-tu mon âme, un peu, dans cette ombre, qui monte ?... Oh ! mais vraiment, ce soir, c'est trop beau, c'est trop doux ! Je vous dis tout cela, vous m'écoutez, moi, vous ! C'est trop ! Dans mon espoir même le moins modeste, Je n'ai jamais espéré tant ! Il ne me reste Qu'à mourir maintenant ! C'est à cause des mots Que je dis qu'elle tremble entre les bleus rameaux ! Car vous tremblez, comme une feuille entre les feuilles ! Car tu trembles ! car j'ai senti, que tu le veuilles Ou non, le tremblement adoré de ta main Descendre tout le long des branches du jasmin ! Il baise éperdument l'extrémité d'une branche pendante. Roxane Oui, je tremble, et je pleure, et je t'aime, et suis tienne ! Et tu m'as enivrée ! Cyrano Alors, que la mort vienne ! Cette ivresse, c'est moi, moi, qui l'ai su causer ! Je ne demande plus qu'une chose... Christian, sous le balcon. Un baiser ! Roxane, se rejetant en arrière. Hein ? Cyrano Oh ! Roxane Vous demandez ? Cyrano Oui... je... À Christian bas. Tu vas trop vite. Christian Puisqu'elle est si troublée, il faut que j'en profite ! Cyrano, à Roxane. Oui, je... j'ai demandé, c'est vrai... mais justes cieux ! Je comprends que je fus bien trop audacieux. Roxane, un peu déçue. Vous n'insistez pas plus que cela ? Cyrano Si ! j'insiste... Sans insister !... Oui, oui ! votre pudeur s'attriste ! Eh bien ! mais, ce baiser... ne me l'accordez pas ! Christian, à Cyrano, le tirant par son manteau. Pourquoi ? Cyrano Tais-toi, Christian ! Roxane, se penchant. Que dites-vous tout bas ? Cyrano Mais d'être allé trop loin, moi-même je me gronde ; Je me disais : tais-toi, Christian !... Les théorbes se mettent à jouer. Une seconde !... On vient ! Roxane referme la fenêtre. Cyrano écoute les théorbes, dont l'un joue un air folâtre et l'autre un air lugubre. Air triste ? Air gai ?... Quel est donc leur dessein ? Est-ce un homme ? Une femme ? - Ah ! c'est un capucin !
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